Les maîtres sonneurs

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George Sand

Les maîtres sonneurs

Nous fîmes assez tristement quasi tout le reste du chemin. Joseph ne disait mot. Il eût peut-être souhaité que Brulette s’occupât un peu de lui; mais à mesure que Joseph avait repris ses forces, Brulette avait repris sa liberté de penser à celui qui mieux lui plaisait; et, reportant bonne part de ses amitiés sur le père et la sœur d’Huriel, elle songeait à eux et en causait avec moi pour les louer et les regretter. Et, comme si elle eût laissé tous ses esprits derrière elle, elle regrettait aussi le pays que nous venions de quitter :

—    C’est chose étrange, me disait-elle, comme je trouve, à mesure que nous approchons de chez nous, que les arbres sont petits, les herbes jaunes, les eaux endormies. Avant d’avoir jamais quitté nos plaines, je m’imaginais ne pas pouvoir me supporter trois jours dans des bois; et, à cette heure, il me semble que j’y passerais ma vie aussi bien que Thérence, si j’avais mon vieux père avec moi.

—    Je ne peux pas en dire autant, cousine, lui répondis-je. Pourtant, s’il le fallait, je pense que je n’en mourrais point; mais que les arbres soient tant grands, les herbes tant vertes et les eaux tant vives qu’elles voudront, j’aime mieux une ortie en mon pays qu’un chêne en pays d’étrangers. Le cœur me saute de joie à chaque pierre et à chaque buisson que je reconnais, comme si j’étais absent depuis deux ou trois ans, et quand je vas apercevoir le clocher de notre paroisse, je lui veux, pour sûr, bailler un bon coup de chapeau.

—    Et toi, Joset ? dit Brulette, qui prit enfin garde à l’air ennuyé de notre camarade. Toi qui es absent depuis plus d’une année, n’es-tu pas content d’approcher de ton endroit ?

—    Excuse-moi, Brulette, répondit Joseph; je ne sais pas de quoi vous parlez. J’avais dans la tête de me souvenir de la chanson du grand bûcheux, et il y a, au milieu, une petite revirade que je ne peux pas rattraper.

—    Bah ! dit Brulette, c’est quand la chanson dit : J’entends le rossignolet.

Et, le disant, elle le chanta tout au juste, ce dont Joseph, comme réveillé, sauta de joie sur la charrette en frappant ses mains.

—    Ah ! Brulette, dit-il, que tu es donc heureuse de te souvenir comme ça ! Encore, encore J’entends le rossignolet !

—    J’aime mieux dire toute la chanson, fit-elle, et elle nous la chanta tout entière sans en omettre un mot; ce qui mit Joseph en si grande joie, qu’il lui serra les mains en lui disant avec un courage dont je ne l’aurais pas cru capable, qu’il n’y avait qu’un musicien pour être digne de son amitié.

—    Le fait est, dit Brulette, qui songeait à Huriel, que si j’avais un bon ami, je le souhaiterais beau sonneur et beau chanteur.

—    Il est rare d’être l’un et l’autre, reprit Joseph. La sonnerie casse la voix, et sauf le grand bûcheux…

—    Et son fils ! dit Brulette, parlant à l’étourdie.

Je lui poussai le coude, et elle voulut parler d’autre chose; mais Joseph, qui n’était pas sans être mordu de jalousie, revint sur la chanson.

—    Je crois, dit-il, que quand le père Bastien l’a mise en paroles, il a songé à trois garçons de notre connaissance; car je me souviens d’une causerie que nous avons eue avec lui à souper, le jour de votre arrivée dans les bois.

—    Je ne m’en souviens pas, dit Brulette en rougissant.

—    Si fait moi, reprit Joseph. On parlait de l’amour des filles, et Huriel disait que cela ne se gagnait point à croix ou pile. Tiennet assurait, en riant, que la douceur et la soumission ne servaient de rien, et que, pour être aimé, il fallait plutôt se faire craindre que d’être trop bon. Huriel reprit pour contredire Tiennet, et moi j’écoutai sans parler. Ne serait-ce pas moi, celui qui porte la rose ? le plus jeune des trois ? Il aime, mais il n’ose ? Dites donc le dernier couplet, Brulette, puisque vous le savez si bien ! N’y a-t-il pas : On donne à qui demande ?

—    Puisque tu le sais aussi bien que moi, dit Brulette un peu piquée, retiens-le pour le chanter à la première bonne amie que tu auras. S’il plaît au grand bûcheux de mettre en chansons les discours qu’il entend, ce n’est pas à moi d’en tirer la conséquence. Je n’y entends encore rien pour ma part. Mais j’ai les fourmis dans les pieds, et, pendant que le cheval monte la côte, je veux me dégourdir un peu.

Et, sans attendre que j’eusse repris les rênes pour arrêter le cheval, elle sauta sur le chemin et se mit à marcher en avant, aussi légère qu’une bergeronnette.

J’allais descendre aussi; Joseph me retint par le bras, et, toujours suivant son idée :

—    N’est-ce pas, dit-il, qu’on méprise également ceux qui marquent trop leur vouloir, et ceux qui ne le marquent pas du tout ?

—    Si c’est pour moi que tu dis ça…

—    Je ne dis ça pour personne. Je reprends la causerie que nous avions là-bas et qui s’est tournée en chanson contre tes paroles et contre mon silence. Il paraît que c’est Huriel qui a gagné le procès auprès de la fillette.

—    Quelle fillette ? dis-je, impatienté; car Joseph n’avait point mis sa confiance en moi jusqu’à cette heure, et je ne lui savais point de gré de me la donner par dépit.

—    Quelle fillette ? reprit-il d’un air de moquerie chagrine; celle de la chanson !

—    Eh bien, quel procès Huriel a-t-il gagné ? Cette fillette-là demeure donc bien loin, puisque le pauvre garçon est parti pour le Forez ?

Joseph resta un moment à songer; puis il reprit :

—    Il n’en est pas moins vrai qu’il avait raison, quand il disait qu’entre le commandement et le silence, il y avait la prière. Ça revient toujours un peu à ton premier dire, qui était que, pour être écouté, il ne faut point trop aimer. Celui qui aime trop est craintif; il ne se peut arracher une parole du ventre, et on le juge sot parce qu’il est transi de désir et de honte.

—    Sans doute, répondis-je. J’ai passé par là en mainte occasion; mais il m’est quelquefois arrivé de si mal parler, que j’aurais mieux fait de me taire : j’aurais pu me flatter plus longtemps.

Le pauvre Joseph se mordit la langue et ne parla plus. J’eus regret de l’avoir fâché, et, cependant, je ne me pouvais défendre de trouver sa jalousie bien mal plantée sur le terrain d’Huriel, étant à ma connaissance que ce garçon l’avait servi de son mieux à son propre détriment, et je pris, de ce moment, la jalousie en si mauvaise estime, que, depuis, je n’en ai plus jamais senti la piqûre, et ne l’aurais sentie, je crois, qu’à bonnes enseignes.

J’allais cependant lui parler plus doucement, quand nous vîmes que Brulette, qui marchait toujours devant, s’était arrêtée au bord du chemin pour parler avec un moine qui me semblait gros et court comme celui dont nous avions fait connaissance au bois de Chambérat. Je fouaillai le cheval, et je m’assurai que c’était bien le même frère Nicolas. Il avait demandé à Brulette s’il était loin de notre bourg, et, comme il s’en fallait encore d’une petite lieue et qu’il se disait bien fatigué, elle lui avait fait offre de monter sur notre voiture pour gagner l’endroit.

Nous lui fîmes place, ainsi qu’à un grand corbillon couvert qu’il portait, et qu’il posa, avec précaution, sur ses genoux. Aucun de nous ne songea à lui demander ce que c’était, excepté moi peut-être, qui suis d’un naturel un peu curieux; mais j’aurais craint de manquer à l’honnêteté que je lui devais, car les frères quêteurs ramassaient dans leurs courses toutes sortes de choses qu’ils se faisaient donner par la dévotion des marchands et qu’ils revendaient ensuite au profit de leur couvent. Tout leur était bon pour ce commerce, mêmement des affiquets de femme, qu’on était quelquefois bien étonné de voir dans leurs mains, et dont quelques-uns n’osaient pas trafiquer ouvertement.

Je repris le trot, et bientôt nous avisâmes le clocher, et puis les vieux ormeaux de la place, et puis toutes les maisons grandes et petites du bourg, qui ne me firent pas autant de plaisir que je m’en étais promis, la rencontre de frère Nicolas m’ayant remis en mémoire des choses tristes et qui me donnaient un restant d’inquiétude. Je vis cependant qu’il était sur ses gardes aussi bien que moi, car il ne me dit pas un mot devant Brulette et Joseph, qui pût faire croire que nous nous étions vus ailleurs qu’à la fête, et que lui ou moi en savions plus long que bien d’autres sur ce qui s’y était passé.

C’était un homme agréable et d’humeur joviale qui m’aurait pourtant diverti dans un autre moment; mais j’étais pressé d’arriver et de me trouver seul avec lui, pour lui demander s’il avait eu, de son côté, quelque nouvelle de l’aventure. À l’entrée du bourg, Joseph sauta à terre, et, quelque chose que Brulette pût lui dire pour le faire venir se reposer chez son père, il prit le chemin de Saint-Chartier, disant qu’il viendrait saluer le père Brulet quand il aurait vu et embrassé sa mère.

Il me sembla que le carme l’y poussait comme à son premier devoir, mais avec l’envie de le faire partir. Et puis, au lieu d’accepter l’offre que je lui fis de venir souper et coucher en mon logis, il me dit qu’il s’arrêterait seulement une heure en celui du père Brulet, à qui il avait affaire.

—    Vous serez le bienvenu, lui dit Brulette; mais connaissez-vous donc mon grand-père ? Je ne vous ai encore jamais vu chez nous ?

—    Je ne connais ni votre endroit, ni votre famille, répondit le moine; mais je suis pourtant chargé d’une commission que je ne peux dire que chez vous.

Je revins à mon idée qu’il avait, dans son panier, des dentelles ou des rubans à vendre, et qu’ayant ouï dire, aux environs, que Brulette était la plus pimpante de l’endroit, outre qu’il l’avait vue très requinquée à la fête de Chambérat, il souhaitait lui montrer sa marchandise, sans s’exposer à la critique, qui, dans ce temps-là, n’épargnait guère ni bons ni mauvais moines.

Je pensai que c’était aussi l’idée de Brulette, car, lorsqu’elle descendit la première devant sa porte, elle tendit les deux mains pour prendre la corbeille, lui disant :

—    Ne craignez rien, je me doute de ce que c’est. Mais le carme refusa de s’en séparer, disant, de son côté, que c’était de valeur et craignait la casse.

—    Je vois, mon frère, lui dis-je tout bas, en le retenant un peu, que vous voilà bien affairé. Je ne vous veux point déranger; c’est pourquoi je vous prie de me dire vite s’il y a du nouveau pour l’affaire de là-bas.

—    Rien que je sache, me dit-il en parlant de même point de nouvelles, bonnes nouvelles. Et, me secouant la main avec amitié, il entra en la maison de Brulette, où déjà elle était pendue au cou de son grand-père.

Je pensais que ce vieux, qui d’ordinaire était fort honnête, me devait quelque bon accueil et beau remercîment pour le grand soin que j’avais eu d’elle; mais, au lieu de me retenir un moment, comme s’il eût été encore plus pressé de l’arrivée du carme que de la nôtre, il le prit par la main et le conduisit au fond de la maison, en me disant qu’il me priait de l’excuser s’il avait besoin d’être seul avec sa fille pour des affaires de conséquence.

George Sand

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Fregate: Une passerelle vers le Conte & la Poésie.

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