— Paul Féval —

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Paul Féval

La Fée des grèves

Méloir grondait dans son sommeil. Il sentait confusément l’effort de la jeune fille. Sa main se raidissait sur l’escarcelle, bien qu’il ne fût point réveillé encore.

L’impatience prenait Reine, dont le petit pied frappa le sol avec colère.

Puis, comme si ce n’était pas assez d’imprudence, la téméraire enfant, par un dernier mouvement brusque et vigoureux, arracha l’escarcelle.

—    Alarme ! cria Méloir, qui s’éveilla en sursaut. En une seconde, toute l’escorte fut sur pied.

Mais une seconde ! c’était dix fois plus qu’il n’en fallait à Reine de Maurever pour opérer sa retraite.

Leste comme un oiseau, elle bondit parmi les dormeurs qui s’agitaient; elle sauta d’un seul élan sur l’appui de la fenêtre ouverte, et les soldats se frottaient encore les yeux qu’elle avait déjà franchi le seuil de la cour.

En passant près de la table, elle avait soufflé les deux résines.

La lune était sous un nuage.

Ce fut, dans la salle, une scène de désordre inexprimable. Au milieu de l’obscurité complète, on se démenait, on se choquait. Les jambes engourdies des dormeurs s’embarrassaient dans le foin qui leur servait de lit, et plus d’un tomba lourdement, mêlant aux cris confus un son retentissant de ferraille.

On eût dit qu’une lutte acharnée avait lieu.

—    Allumez les résines ! commanda Méloir. Et chacun de répéter :

—    Allumez les résines ! Mais quand toute le monde commande, personne n’obéit. On continua de s’agiter à vide. Le sieur de Corson s’était remis en pal, comme il disait quand il était de très joyeuse humeur. “En pal”, pour lui, signifiait debout.

Oh ! les sinistres joies de la science !

Quand un docte homme plaisante, fuyez ! Il n’y a qu’une plaisanterie de mathématicien, qui puisse être plus funeste qu’une plaisanterie d’archiviste-paléographe !

Les autres cherchaient leurs armes, juraient, se bourraient, trébuchaient contre les flacons vides et donnaient leurs âmes au diable, qui ne s’en souciait point.

Le chevalier Méloir était comme ébahi.

Il fallut que la lune sortît de son nuage pour mettre fin à la mêlée. Un rayon argenté inonda un instant la salle, pour s’éteindre bientôt après. Mais on avait eu le temps de se reconnaître. Conan et Kervoz battaient déjà le briquet.

—    Avez-vous vu ?… commença Méloir.

—    Un fantôme ? interrompit Kéravel.

—    Quelque chose, continua Fontebrault, qui a glissé dans la nuit comme un brouillard léger.

—    Une vision…

—    Un esprit…

—    Quelque chose, s’écria Méloir, qui a coupé les cordons de ma bourse !

—    En vérité ! fit-on de toutes parts.

—    Quelque chose, ajouta Kéravel, en soulevant une des résines allumées, qui a emporté deux de nos poules et notre dernier flacon.

—    C’est pourtant vrai ! répéta-t-on à la ronde.

—    Sarpebleu ! gronda Méloir, au diable les poules ! mon escarcelle contenait la rançon d’un chevalier ! On peut monter à cheval et le chercher. Ce quelque chose-là, mes compagnons, il me le faut !

Les hommes d’armes s’entre-regardèrent.

—    Chercher, murmurèrent-ils, c’est possible, mais trouver…

—    Il faut trouver, mes compagnons ! dit Méloir.

—    Si c’est un voleur, répliqua Kéravel, il est adroit, messire, et il a de l’avance. Si c’est un esprit…

—    Quand ce serait Satan, sarpebleu ! On chuchota. Méloir poursuivait :

—    Sellez les chevaux, Conan et les autres. Notre nuit est finie. Vous, mes compères, écoutez, s’il vous plaît, je vais vous donner le signalement du prétendu fantôme.

—    Vous l’avez donc bien vu, messire ?

—    Pas trop, mais juste pour le reconnaître. De sa taille, je ne saurais rien dire, sinon qu’il est plus leste que les lévriers de Rieux. Sa figure, je ne l’ai pas aperçue, puisqu’il me tournait le dos en fuyant. Mais ses cheveux blonds, bouclés et flottants…

—    C’est une femme ?

—    Peut-être. Vous souvenez-vous du garçonnet qui nous a conduits jusqu’ici, messieurs ?

—    Oh ! oh ! s’écria-t-on, c’est vrai ! il a des cheveux blonds.

—    Et vous souvenez-vous comme il avait envie des cinquante écus nantais ?

—    Oui ! Oui !

—    Voilà la piste, mes compagnons. À vous de la suivre. Un bruit soudain se fit dehors.

—    Sus ! sus ! criaient Conan, Merry, Kervez et les autres archers.

Et ils donnaient chasse dans la cour à un être qui fuyait avec une merveilleuse rapidité.

—    Sus ! sus !

—    Mon bon Seigneur, disait le pauvre diable perdant déjà le souffle, ayez pitié de moi. Je venais pour parler à votre maître, le noble chevalier Méloir.

—    Au milieu de la nuit ? Attention, Conan ! Barre-lui la route, Merry ! Nous allons l’accoler contre le mur !… Les hommes d’armes et Méloir s’étaient mis aux fenêtres.

—    Oh ! mes bons seigneurs ! oh ! criait le fugitif à bout de forces.

—    Messire, dit Fontebrault, je crois que cet honnête gaillard va nous donner des nouvelles de votre bourse.

—    Ne lui faites pas de mal, ordonna Méloir aux archers. Le fuyard s’arrêta au son de cette voix.

—    Merci, mon cher seigneur, dit-il, que Dieu vous récompense !

—    Amenez-le ! commanda Méloir. L’instant d’après, les archers poussaient dans la salle un individu qui ne ressemblait vraiment point au signalement donné par Méloir. Ce signalement, tout imparfait qu’il était, parlait du moins d’une taille souple et de longs cheveux blonds soyeux. Notre fugitif avait au contraire tout ce qu’il fallait pour n’être confondu de près ni de loin avec ce signalement. C’était un grand garçon d’une laideur très avancée et pourvu d’une chevelure dont chaque crin était rude comme la dent d’une étrille.

—    Messire, dit l’archer Merry, nous avons surpris ce vilain oiseau-là au moment où il se glissait hors de la cour.

—    Que venais-tu faire dans la cour ? demanda Méloir qui avait repris place dans son fauteuil.

—    Je venais vous parler, mon bon seigneur.

—    Comment t’appelles-tu ?

—    Vincent Gueffès, fidèle sujet du duc François, et le plus humble de vos serviteurs, monseigneur.

Paul Féval

La Fée des grèves

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Fregate: Une passerelle vers le Conte & la Poésie.

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