— Paul Féval —

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Paul Féval

La Fée des grèves

C’était bien maître Gueffès, le digne maître Gueffès, le mendiant-maquignon-clerc-normand, le prétendu de la belle Simonnette, le rival du petit Jeannin, maître Vincent Gueffès avec sa large mâchoire, son front étroit, ses bras de deux aunes.

Et maître Gueffès disait vrai par impossible : il était réellement venu au château pour parler au chevalier Méloir.

Le chevalier Méloir le considéra longtemps avec attention.

—    Mes compagnons, dit-il ensuite, il est rare de trouver un animal plus laid que ce pataud-là. Tout le monde approuva de bon cœur.

—    Mais vous savez, continua Méloir, quand on s’éveille comme cela en sursaut, on a la vue trouble et le sens engourdi. Peut-être avais-je la berlue, mes compagnons, peut-être ai-je vu de beaux cheveux blonds à la place de ces crins de sangliers, et une taille fine à la place de ce corps mal bâti…

Les hommes d’armes riaient. Gueffès tremblait de tous ses membres.

—    Dieu me pardonne, acheva Méloir, je crois que c’est ce coquin qui m’a volé mon escarcelle !

—    Oh ! mon bon seigneur, mon bon seigneur ! s’écria maître Gueffès; je vous jure…

—    Bien ! bien, mon homme, interrompit Méloir, tu vas jurer tout ce qu’on voudra, mais moi, je vais te faire pendre ! Gueffès se jeta à genoux.

—    Mon cher seigneur, dit-il, les larmes aux yeux, et c’était la première fois de sa vie qu’il donnait de pareilles marques d’attendrissement, mon cher seigneur, la mort d’un pauvre innocent ne vous rendra point votre escarcelle, et si vous me laissez la vie sauve, je vous fournirai de quoi gagner les bonnes grâces du riche duc.

—    Saurais-tu où se cache le traître Maurever ? demanda vivement Méloir.

—    Oui, mon cher seigneur, répliqua Gueffès sans hésiter. Gueffès était trop homme d’affaires pour ne pas voir que la crise était passée. Il se redressa un petit peu, et son œil fit le tour du cercle.

—    La vie sauve ! répéta-t-il; vous êtes bien trop généreux, mon cher seigneur, pour ne pas ajouter quelque petite chose à cela.

—    Allons ! parle ! s’écria Méloir. Gueffès se redressa tout à fait.

—    Au clair de la lune, là-bas, sur le tertre, dit-il, tranquillement cette fois, j’ai vu passer votre escarcelle, mon cher seigneur. Oh ! les beaux cheveux blonds et le gracieux sourire !

—    Parle donc !

—    Quatre jambes vont plus vite que deux. Hommes d’armes ! montez à cheval, si vous voulez suivre le conseil d’un pauvre honnête chrétien, descendez par le village et piquez droit aux Grèves. Vous trouverez l’escarcelle… et quand vous serez partis, ajouta-t-il en regardant Méloir en face, moi je parlerai à mon cher seigneur.

—    En route ! cria Méloir.

—    Et, si c’est un sorcier ? insinua Kervoz, et qu’il vous étrangle, messire ? Méloir regarda maître Gueffès en-dessous.

—    Bah ! fit-il, le jour va se lever, et j’aurai la main sur ma dague. En route !

Homme d’armes et archers s’ébranlèrent. Les chevaux étaient tous préparés dans la cour. On entendit la grand-porte s’ouvrir, puis le bruit de la cavalcade, puis le silence se fit.

—    Sarpebleu ! grommela Méloir; ils vont revenir les mains vides ! Ah ! si j’avais mes douze lévriers de Rieux ! Ma patience ! ils doivent être à Dinan à cette heure, et nous les aurons demain.

—    C’est donc vrai, monseigneur ? dit bien respectueusement Gueffès.

—    Quoi ?

—    Que vous chasserez Maurever dans les Grèves avec des lévriers de race ?

—    Que t’importe ?

—    Cela m’importe beaucoup, mon cher seigneur, attendu que j’ai mis dans ma tête de gagner les cinquante écus nantais, promis par François de Bretagne à celui qui…

—    Ah ! ah ! dit Méloir; est-ce aussi pour la fillette à Simon Le Priol ? Gueffès devint tout jaune.

—    Il y a donc quelqu’un, murmura-t-il, qui veut aussi gagner les cinquante écus nantais pour la fillette à Simon Le Priol ?

—    Est-elle jolie ? demanda Méloir au lieu de répondre.

—    Elle est riche, répliqua Gueffès. Méloir lui frappa sur l’épaule.

—    Le bon compagnon que tu fais, ami Gueffès ! s’écria-t-il. Mais j’y songe ! nous n’aurons guère besoin de mes lévriers de Rieux, puisque tu sais où se cache Mr Hue.

—    Ai-je dit que je le savais ?

—    Oui, sarpebleu ! sans cela…

—    Ah ! monseigneur ! quand on a la corde au cou…

—    Tu ne le sais donc pas ?

—    Je le saurai, monseigneur.

Paul Féval

La Fée des grèves

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Fregate: Une passerelle vers le Conte & la Poésie.

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