— Paul Féval —

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Paul Féval

La Fée des grèves

Désormais, la partie devait être jouée d’un seul coup.

À moins qu’on ne se fit des amis dans les deux camps.

Or, le chevalier Méloir était Normand à demi.

Quand notre beau petit Jeannin prit congé des hommes d’armes, au pas de course, sous le manoir de Saint-Jean-des-Grèves, ce fut pour retourner à la ferme de Simon Le Priol.

Mais la ferme de Simon Le Priol était close.

L’arrivée des soudards avait mis fin à la veillée. Le métayer et sa femme dormaient; Simonnette était dans son petit lit en soupente. Les deux vaches, la Rousse et la Noire, ruminaient auprès du lit commun. Quant aux quatre Gothon et aux quatre Mathurin, les Mémoires du temps ne disent pas ce qu’il faisaient à cette heure.

Le petit Jeannin courait volontiers au clair de lune. Les nuits passées à la belle étoile ne l’effrayaient point, bien qu’il fût au dire de tout le monde, poltron comme les poules.

Les trous de sa peau de mouton laissaient passer le vent froid, mais sa peau, à lui, ne s’en souciait guère.

Plus d’une fois, et plus de cent fois aussi, le petit Jeannin était venu à pareille heure, à cette même place, l’hiver ou l’été, par le beau temps ou par la pluie.

Il s’asseyait sous un gros pommier, dont le tronc, tout plein de blessures et de verrues, lançait encore vaillamment ses branches en parasol.

Un pommier de douce-au-bec ma foi !

Ce sont de bonnes pommes, oh ! oui, sucrées comme les becs-d’anges et goûtées comme les pigeonnets.

Mais le petit Jeannin n’était presque plus gourmand depuis qu’il songeait à Simonnette.

Donc, c’était par une belle nuit de juin que notre Jeannin, assis sous son pommier et rêvant tout éveillé, avait aperçu la fée, la bonne fée.

Il s’amusait à bâtir toutes sortes de châteaux, faisant de l’avenir un joyeux paradis où Simonnette avait, bien entendu, la meilleure place, lorsqu’un pas léger effleura les cailloux du chemin.

Jeannin vit une jeune fille. Il ne dormait pas, pour sûr ! La jeune fille passa devant la porte de Simon Le Priol et prit le gâteau de froment que Fanchon la ménagère n’oubliait jamais de déposer sur le seuil, quand il n’y avait pas de bouillie fraîche.

Cela s’était passé la veille.

Jeannin avait eu peur, il s’était bien douté que cette jeune fille était une fée des Grèves.

Et certes, pendant que le frisson lui courait par tout le corps, pendant que ses petites dents claquaient dans sa bouche, il n’avait point songé à poursuivre la fée.

Bien au contraire, il avait fermé les yeux et caché sa tête entre ses deux mains.

Mais c’est qu’il ne savait pas encore, cette nuit-là, l’histoire du chevalier breton dans l’embarras.

Il ne savait pas que ceux qui parvenaient à saisir la bonne fée au corps pouvaient lui demander tout ce qu’ils voulaient.

Aujourd’hui, le petit Jeannin était plus savant que la veille.

Et ce n’était plus tout à fait pour rêver qu’il se cachait sous le vieux pommier à l’écorce rugueuse.

Il guettait la fée.

Il tremblait d’avance à l’idée de ce qu’il allait faire, c’est vrai, mais il était bien résolu.

Rien de tel que ces petits poltrons pour tenter l’impossible.

Jeannin attendait, le cœur gros et la respiration haletante.

Il s’était assuré que l’écuellée de gruau était intacte sur le seuil.

La fée allait venir.

Il attendit longtemps. La lune marquait plus de minuit lorsqu’un murmure confus vint à ses oreilles, du côté du manoir.

Presque aussitôt après, les cailloux du chemin bruirent.

La jeune fille de la veille arrivait en courant.

Il s’était dit :

—    Quand la fée se baissera pour prendre l’écuelle, je la saisirai. Mais la fée passa, légère et rapide. Elle ne se baissa point pour prendre l’écuelle. Le petit Jeannin resta un instant abasourdi.

Puis, ma foi, il jeta son bonnet par-dessus les moulins et se mit bravement à courir après la fée.

Paul Féval

La Fée des grèves: conte breton

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Fregate: Une passerelle vers le Conte & la Poésie.

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