— Paul Féval —

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Paul Féval

La Fée des grèves

Le petit Jeannin était resté longtemps à regarder la fée courir sur le miroir des grèves.

Quand la fée disparut enfin dans l’ombre du Mont, le petit Jeannin sembla s’éveiller.

Il secoua sa jolie tête chevelue, pesa l’escarcelle, et fit une gambade. Sa joie s’enflait et grandissait à mesure qu’il marchait, le nez au vent et la tête fière, comme un homme opulent peut marcher. L’allégresse lui montait au cerveau. Il était ivre.

Tantôt il gesticulait follement, tantôt il entonnait à pleine gorge un noël appris à la paroisse de Cherrueix, tantôt encore il prenait son élan, touchait le sable de ses deux mains étendues, retombait sur ses pieds et poursuivait cet exercice durant des demi-lieues.

Quiconque a voyagé sur nos routes de l’Ouest a pu voir de jeunes citoyens exécuter ce naïf tour de force sous le poitrail des chevaux. Cela s’appelle “faire la roue”. Jeannin faisait la roue comme un dieu.

Quand il avait bien fait la roue, il rejetait en arrière la masse de ses cheveux qui l’aveuglait, et c’étaient des éclats de rire, des sauts, des cabrioles.

Il s’en donnait, il s’en donnait le petit Jeannin !

Puis tout à coup il mettait le poing sur la hanche, comme le hallebardier de la cathédrale de Dol. Il marchait à pas comptés. Voyez quel homme grand cela faisait !

Avec une soutanelle de laine brune au lieu de sa peau de mouton, il eût ressemblé à un clerc.

Mais cette gravité-là ne durait point.

Jeannin demeurait aux Quatre-Salines. Sa vieille mère avait une petite cabane où le vent venait par tous les bouts. Cette nuit, le rêve de Jeannin bâtit une bonne maison de marne à sa vieille mère.

Quant à lui, nous savons qu’il couchait rarement au logis.

À l’extrémité du village des Quatre-Salines, il y avait une ferme riche; devant la ferme, dans le verger, une belle meule de paille six fois grande comme la cabane de la mère de Jeannin.

C’était là le vrai domicile du petit coquetier. Il s’était creusé un trou bien commode dans la paille, et il dormait là mieux que vous et moi.

Sa mère avait une bique (chèvre). La bique tenait dans la cabane la place du petit Jeannin : il lui fallait bien trouver son gîte ailleurs.

Par delà le mont Dol et les coteaux de Saint-Méloir-des-Ondes, l’aube teintait de blanc les contours de l’horizon, quand Jeannin arriva au bout de la grève. Il était trop tôt pour se présenter chez Simon Le Priol. Jeannin sauta tête première dans sa meule de paille et s’endormit tout d’un temps.

Le bon somme qu’il fit ! et les bons rêves !

Il vit des cierges allumés pour ses noces dans l’église du bourg de Saint-Georges. Fanchon la ménagère tenait sa fillette par la main et la conduisait à l’autel. Simon Le Priol avait son pourpoint de fêtes gardées.

Quand le petit Jeannin dormait une fois, c’était pour tout de bon. Le soleil se leva et se coucha pendant qu’il dormait. À son réveil, la brune était déjà tombée.

—    Oh ! da ! se dit-il, le jour tarde bien à se montrer ce matin !

Il sortit de sa meule attendant toujours le soleil. Ce fut la lune qui vint.

—    Allons ! se dit le petit Jeannin, j’ai fait un joli somme. Il faut courir chez Simon Le Priol pour demander Simonnette en mariage !

La route se fit gaiement. Jeannin avait son escarcelle sous sa peau de mouton. Il frappa à la porte de Simon.

—    Holà ! petiot, lui dit le bonhomme quand il fut entré, depuis quand frappes-tu aux portes comme si tu étais quelque chose ?

De fait, le petit Jeannin n’avait point coutume de frapper. Il faisait comme les chats : il entrait tout doucement sans dire gare.

S’il avait frappé ce soir, c’est qu’en effet, sans se rendre compte de cela, il se sentait devenu quelque chose.

—    Bonjour, Simon Le Priol, dit-il avec un pied de rouge sur la joue; bonjour, dame Fanchon et la maisonnée.

La maisonnée se composait de deux vaches et de quatre gorets, car Simonnette était dehors, ainsi que tous les Mathurin et toutes les Gothon.

Fanchon et Simon se regardèrent.

—    Qu’a-t-il donc, ce petit gars-là ? demanda la métayère; il a l’air tout affolé !

—    Est-ce que tu es malade, petiot ? interrompit Simon avec bonté. Jeannin ne savait pas s’il était bien portant ou malade.

Sa langue était paralysée. Simon Le Priol et sa ménagère lui semblaient, en ce moment, plus imposants qu’un roi et une reine.

Il n’avait point préparé son discours. Tout à l’heure, cela lui paraissait si simple de dire en entrant :

—    Bonjours à trétous, je viens pour épouser Simonnette. Maintenant il ne pouvait plus.

—    Femme, dit Simon, il est tout pâle et il tremble les fièvres. Donne-lui une écuellée de cidre bien chaud pour lui recaler le cœur.

—    Oh ! merci tout de même, murmura Jeannin; mais dam, je n’ai point froid au cœur. Bien du contraire quoique l’écuellée de cidre ne soit pas de refus. Mais, je vais vous dire : faut que vous sachiez ça tous deux. Il m’est tombé un bonheur.

La porte grinça sur ses gonds. La mâchoire de maître Vincent Gueffès se montra sur le seuil. Ce fut dommage, car le petit Jeannin était lancé : il allait défiler son chapelet tout d’un coup. Vincent Gueffès tira la mèche de cheveux qui pendait sur son front. C’était sa manière de saluer. Puis il s’assit, dans le foyer, sur un billot. Il fit à Jeannin un signe de tête amical.

Depuis le matin, maître Vincent Gueffès ruminait pour trouver un moyen honnête de faire pendre le petit coquetier. Jeannin resta la bouche ouverte.

—    Eh bien ! dit Fanchon, qu’est-ce que c’est que ce bonheur-là qui t’est tombé, mon petit gars ?

Jeannin se mit à tortiller les poils de sa peau de mouton. Gueffès vit qu’il gênait. Cela lui fit un véritable plaisir.

—    Allons ! cause vite ! s’écria Simon; crois-tu qu’on a le temps de s’occuper de toi toute la soirée ?

—    Oh ! que non fait ! maître Simon, répliqua Jeannin avec humilité, quoique je n’en aurais pas eu l’idée sans vous, bien sûr et bien vrai.

—    Quelle idée ?

—    L’idée des cinquante écus nantais…

—    Est-ce que tu voudrais vendre la tête de notre bon seigneur ! s’écria Fanchon déjà rouge d’indignation.

Maître Vincent Gueffès dressa l’oreille. Il l’avait longue.

—    Pas de moitié ! dit Jeannin, employant ainsi la plus énergique négation qui soit dans le langage du pays; le chef des soudards me l’a bien proposé, mais je n’entends pas de cette oreille-là !

—    À la bonne heure !

—    C’est d’autres écus, reprit Jeannin, des écus qui… que… enfin, je vais vous dire… C’est des écus, quoi !

Paul Féval

La Fée des grèves: conte breton

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Fregate: Une passerelle vers le Conte & la Poésie.

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