— Paul Féval —

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Paul Féval

La Fée des grèves

Il releva la tête, tout satisfait d’avoir pu donner une explication aussi catégorique.

—    Ça ne nous apprend pas… commença maître Vincent Gueffès. Mais Jeannin ne le laissa pas achever.

—    Pour ce qui est de vous, l’homme, dit-il rudement, on ne vous parle point ! Et si vous voulez causer tous deux, allez m’attendre à la porte !

Simon et sa femme se regardèrent encore. Ce petit Jeannin, plus poltron que les poules ! Maître Gueffès essaya de sourire, ce qui produisit une grimace très laide. Jeannin se retourna de nouveau vers le métayer et la métayère.

—    Voyez-vous, dit-il en forme d’explication, je n’aime pas ce Normand-là, parce qu’il rôde toujours autour de Simonnette.

—    Et qu’est-ce que ça te fait, petiot ? demanda Simon en riant.

La figure de Jeannin exprima l’étonnement le plus sincère.

—    Ce que ça me fait ! répéta-t-il; mais je ne vous ai donc rien dit depuis que nous bavardons là ! Ça me fait que Simonnette est ma promise…

Simon et sa femme éclatèrent de rire pour le coup.

—    Oh ! le pauvre Jeannin ! s’écria Fanchon, en se tenant les côtes, il a bien sûr marché sur le trèfle à quatre feuilles !

Il n’en fallait pas tant pour déconcerter le petit Jeannin. Toute sa vaillance tomba, et les larmes lui vinrent aux yeux.

—    Dam ! fit-il, puisqu’il ne faut que cinquante écus nantais.

—    Et où les pêcheras-tu, garçonnet, les cinquante écus nantais ? Jean tira de dessous sa peau de mouton l’escarcelle de fines mailles, qui scintilla aux lueurs du foyer.

Simon et sa ménagère ouvrirent de grands yeux. Maître Gueffès allongea le cou pour mieux voir.

—    Qu’est-ce que c’est que ça ? demandèrent à la fois Simon et Fanchon. Jeannin souriait.

—    Ah ! mais ! répondit-il, quand on tient la Fée des Grèves, elle donne tout ce qu’on demande !

—    La Fée des Grèves ! répétèrent les deux bonnes gens stupéfaits.

Maître Simon Le Priol était un peu dans la situation d’un charlatan qui évoquerait des fantômes de carton pour amuser son public et qui verrait surgir un vrai spectre.

—    La Fée des Grèves ! répéta-t-il une seconde fois; mais c’est des contes de veillée, tout ça, petiot !

—    Comment ? l’histoire du chevalier breton ?…

—    Un conte !

Jeannin fit sonner les pièces d’or qui étaient dans l’escarcelle.

—    Et ça, est-ce des contes ? demanda-t-il d’un accent de triomphe; la Fée des Grèves a bien pu transporter le chevalier au Mont, à la marée haute, puisqu’elle m’a donné de quoi épouser Simonnette !

Ce disant, le petit Jeannin ouvrit l’escarcelle et fit ruisseler les écus sur la table de la ferme. Il y en avait bien plus de cinquante. Simon et Fanchon étaient littéralement éblouis.

Vincent Gueffès restait immobile dans son coin.

Il se disait :

—    J’ai pourtant failli être pendu pour ces beaux écus tout neufs, moi ! Il se dit encore :

—    La demoiselle aurait pris l’escarcelle; le petit falot, la tête pleine des contes de maître Simon, aura couru après la demoiselle… Et puis, voilà.

Maître Vincent Gueffès, comme on voit, était un homme de beaucoup de sens. Impossible de mieux résumer l’histoire que nous avons racontée en tant de chapitres ! Simon et sa femme étaient bien loin de voir aussi clair dans ces mystérieuses ténèbres. Ils regardaient les écus d’un air peu rassuré. Mais c’étaient des écus. Simon les aimait; Fanchon aussi. Simon interrogea Fanchon de l’œil et Fanchon répondit :

—    Dam ! notre homme. Jeannin est un beau petit gars, tout de même !

—    Pour ça, c’est vrai ! appuya Simon Le Priol en considérant Jeannin avec attention, ce qu’il n’avait jamais fait en sa vie.

—    Il a de beaux yeux bleus, ce petit-là, ajouta Fanchon d’une voix presque caressante déjà.

—    Et des cheveux comme une gloire ! renchérit Simon.

Le petit Jeannin, rouge de plaisir, se laissait chatouiller. Maître Vincent Gueffès s’était levé bien doucement. Il était au centre du groupe avant qu’on n’eût songé à lui.

—    À quand la noce ? dit-il.

Son air était si narquois que les deux bonnes gens en tressaillirent.

—    Ça ne te fait rien, à toi, répliqua Jeannin, puisque tu n’en seras pas de la noce. Va t’en !

Maître Gueffès tira sa mèche et s’en alla, mais sur le seuil il se retourna :

—    Si fait ! si fait ! petit Jeannin, dit-il sans se fâcher, tu épouseras la hart, mon mignon… et j’en serai, de la noce ! Il disparut. On entendit au dehors son aigre éclat de rire.

—    Bah ! dit la ménagère Fanchon, jalousie !

—    Rancune ! ajouta Simon Le Priol. Et l’on fit asseoir le petit Jeannin à la bonne place, pour causer du mariage.

Car le mariage était désormais affaire conclue.

Les écus restaient sur la table auprès de l’escarcelle ouverte.

Il se fit tout à coup un grand bruit dans la campagne.

Le cor sonnait, et le pas lourd des chevaux retentissait sur les cailloux. En même temps, de vagues et lointaines clameurs arrivaient par le tuyau de la cheminée. Simon, sa femme et le petit Jeannin continuaient de causer mariage. On heurta rudement à la porte, et l’on dit :

—    De par notre seigneur le duc ! Simon, tout effaré, courut ouvrir. La Noire et la Rousse beuglaient d’effroi sur la paille. Les hommes d’armes de Méloir entrèrent, commandés par Kéravel et conduits par maître Vincent Gueffès. Derrière eux venait tout le village, les quatre Mathurin, les quatre Gothon, la Scholastique, trois Catiche, une Perrine et deux Joson. Simonnette et son frère Julien étaient toujours dehors.

—    Que voulez-vous ? demanda Simon Le Priol.

L’archer Merry le jeta sans beaucoup de façon à l’autre bout de la chambre.

—    Messeigneurs, dit Vincent Gueffès, voici l’escarcelle et voilà le voleur ! Il montrait le petit Jeannin. Tous les hommes d’armes reconnurent l’escarcelle du chevalier Méloir. On se saisit du pauvre Jeannin et Kéravel dit :

—    Attachez la hart haut et cours au pommier qui est en face !

On attacha la hart pour pendre le voleur. Maître Vincent Gueffès était derrière Jeannin.

—    Je t’avais bien dit, petiot, murmura-t-il, que j’en serais de la noce !

Paul Féval

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Fregate: Une passerelle vers le Conte & la Poésie.

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