— Paul Féval —

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Paul Féval

La Fée des grèves

À ce moment, la nuit était tout à fait tombée.

Le ciel n’était point clair comme la nuit précédente. La grande marée approchait, amenant avec soi les bourrasques sur terre et les nuages au ciel.

Il faisait vent capricieux, soufflant par brusques rafales. Le firmament d’un bleu vif, semé d’étoiles qui brillaient extraordinairement, se couvrait à chaque instant de nuées noires. Les nuées allaient comme d’énormes vaisseaux, toutes voiles dehors. Elles mangeaient les étoiles, suivant l’expression bretonne.

À l’Orient, quand l’horizon se découvrait, on voyait le disque énorme et rougeâtre de la pleine lune qui sortait à moitié de la mer.

Cela était sombre, mais plein de mouvement. Quand la lumière de la lune fut assez forte pour argenter le rebord des nuages, tout ce mouvement s’accusa violemment, et le ciel présenta l’image du chaos révolté.

Dans leur petite cabane improvisée, Reine et Simonnette étaient seules. Simonnette s’asseyait aux pieds de Reine, à qui on avait fait un banc d’herbes et de goémons desséchés.

—    Tu l’aimes donc bien, ma pauvre Simonnette ? disait Reine en souriant.

—    Oh ! chère demoiselle, je ne le savais pas hier. C’est quand j’ai appris qu’on allait le pendre, que mon cœur s’est brisé. Lui, il y a longtemps, longtemps qu’il m’aime; bien souvent, je me levais la nuit pour regarder par la croisée de la ferme, et toujours je le voyais guettant sous le grand pommier qui est de l’autre côté du chemin. Le croiriez-vous, cela me faisait rire et je me disais : Le drôle de petit gars ! le drôle de petit gars ! Mais hier ! ah ! Seigneur mon Dieu ! que j’ai pleuré !

Ses yeux étaient encore tout pleins de larmes. Reine l’attira contre elle et la baisa.

—    Ah ! mais j’ai pleuré, poursuivait Simonnette, qui riait parmi ses larmes, j’ai pleuré ! que je n’y voyais plus du tout, notre bonne demoiselle ! Ce que c’est que de nous ! Je n’avais pas pleuré beaucoup plus quand on nous a dit que vous étiez morte.

Elle porta la main de Reine à ses lèvres en ajoutant :

—    Et pourtant je donnerais mille fois ma vie pour l’amour de notre chère maîtresse ! vous le croyez bien, n’est-ce pas ?

—    Je le crois, ma bonne Simonnette.

—    Mais quand on ne sait pas qu’on aime, voyez-vous, et que ça vient comme ça, tout d’une fois, il paraît que c’est plus fort. Figurez-vous que c’était justement aux branches du grand pommier qu’ils voulaient pendre mon pauvre Jeannin. Et si vous n’étiez pas venue…

—    Ah ! mon Dieu ! fit-elle en s’interrompant, je le disais tantôt à Jeannin, qui fait l’homme, oui-da, depuis qu’il a été pendu à moitié; je lui disais : Si tu ne te fais pas couper en morceaux pour notre demoiselle, toi, tu peux chercher une autre promise ! Et savez-vous ce qu’il m’a répondu, car c’est étonnant comme il devient faraud !

—    Que t’a-t-il répondu, ma fille ?

—    Il m’a répondu : Si tu ne parlais pas comme ça, toi, quand il s’agit de notre demoiselle, tu pourrais bien chercher un autre promis !

—    En vérité ?

—    Vrai, comme je vous le dis. Ça vous change fièrement un jeune gars, de lui mettre la corde au cou. Et vous pensez si ça m’a fait plaisir de le voir vous aimer autant que je vous aime, mademoiselle Reine !

Reine était distraite. Simonnette se tut et se prit à la regarder d’un air malicieusement ingénu.

—    Notre demoiselle, poursuivit-elle tout à coup, comme si une idée lui fût venue, vous ne savez pas, quand il est arrivé, les filles et les gars disaient : Oh ! le beau jeune seigneur ! le beau jeune seigneur !

Reine rougit légèrement.

—    De qui parles-tu, ma fille ? demanda-t-elle.

Nous ajoutons pour mémoire qu’elle savait parfaitement de qui parlait Simonnette.

—    Eh mais ! répondit celle-ci; de messire Aubry, donc ! avec son casque à plume et sa cotte brillante. Les gars et les filles disaient encore : C’est le fiancé de notre demoiselle… Est-ce vrai, ça ?

—    C’est vrai.

—    Oh ! tant mieux ! s’écria Simonnette; je voudrais tant vous voir heureuse ! Comme il doit vous aimer, le jeune gentilhomme ! et comme ce sera beau de vous voir tous deux à la chapelle du manoir ! Dieu merci, les temps durs passeront, et la joie reviendra. Voulez-vous m’accorder une grâce, mademoiselle Reine ?

—    Une grâce, ma pauvre enfant, répondit Reine en secouant sa jolie tête blonde; je ne suis guère en position d’accorder des grâces.

—    Aujourd’hui, non, mais demain. C’est pour demain la grâce que j’implore.

Reine ne put s’empêcher de sourire, tant il y avait de caressante confiance dans la voix de Simonnette.

—    Eh bien, répliqua-t-elle presque gaiement, nous t’octroyons la grâce que tu sollicites, ma fille.

Simonnette lui couvrit les mains de baisers. Elle était joyeuse autant que si ces paroles fussent tombées de la belle bouche de madame Isabeau, duchesse de Bretagne.

—    Merci, ma chère demoiselle, mille fois merci, dit-elle; la grâce que je vous demande, ce n’est pas pour moi, mais pour Jeannin, mon ami, qui ne gagnera guère à devenir mon mari, puisque notre maison est brûlée. Hélas ! mon Dieu ! ajouta-t-elle entre parenthèse, qui sait ce que sont devenues la Noire et la Rousse dans tous ces malheurs-là ?

—    Et que puis-je faire pour ton ami Jeannin, ma pauvre Simonnette ?

—    Quand le noble Aubry sera chevalier, répondit la jeune fille, il aura besoin d’une suite. Je sais ce que vous allez me répondre : On dit que Jeannin est poltron comme les poules. C’est menti, allez, ma bonne demoiselle ! Si vous aviez vu Jeannin quand il allait mourir ! Il pensait à sa vieille mère et à moi; il priait le bon Dieu bien doucement, comme s’il eût récité son oraison de tous les soirs, mais il ne tremblait pas. Oh ! il est brave, mon ami Jeannin ! et je n’oublierai jamais l’heure que j’ai passée avec lui; c’était moi qui pleurais; c’était lui qui me consolait.

—    Quand Aubry de Kergariou sera chevalier, dit Reine, nous ferons un bel écuyer du petit Jeannin.

Simonnette, qui n’avait pourtant pas sa langue dans sa poche, ne trouvait plus de paroles pour remercier, tant elle était heureuse.

Reine se pencha et lui mit un baiser sur le front. Les boucles légères et cendrées de ses cheveux blonds se mêlèrent à l’opulente chevelure noire de la jeune vassale. C’était un tableau gracieux et charmant.

—    Écoutez ! dit Simonnette, qui tressaillit avec violence et se leva. Elle s’élança sur une pierre qui était en dehors du seuil, et sa tête dépassa l’enceinte. Reine était déjà auprès d’elle.

Leurs joues, qui naguère brillaient de jeunesse et de fraîcheur, étaient pareillement pâles. Tout leur corps tremblait.

Sur le sable blanc de la grève, on voyait des objets noirs qui avançaient et semblaient ramper. La lune passa entre deux nuages. Au pied même de l’enceinte, une forme sombre se dressa lentement.

Un roman de Paul Féval

La Fée des grèves

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Fregate: Une passerelle vers le Conte & la Poésie.

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