Pêcheur d'Islande

Page: .47./.64.

Pierre Loti

Pêcheur d'Islande

Un soir de pluie, ils étaient assis près l’un de l’autre dans la cheminée, et leur grand-mère Yvonne dormait en face d’eux. La flamme qui dansait dans les branchages du foyer faisait promener au plafond noir leurs ombres agrandies.

Ils se parlaient bien bas, comme font tous les amoureux. Mais il y avait, ce soir-là, de longs silences embarrassés, dans leur causerie. Lui surtout ne disait presque rien, et baissait la tête avec un demi-sourire, cherchant à se dérober aux regards de Gaud.

C’est qu’elle l’avait pressé de questions, toute la soirée, sur ce mystère qu’il n’y avait pas moyen de lui faire dire, et cette fois il se voyait pris : elle était trop fine et trop décidée à savoir; aucun faux-fuyant ne le tirerait plus de ce mauvais pas.

—    De méchants propos, qu’on avait tenus sur mon compte ? demandait-elle.

Il essaya de répondre oui. De méchants propos, oh !… on en avait tenu beaucoup dans Paimpol, et dans Ploubazlanec…

Elle demanda quoi. Il se troubla et ne sut pas dire. Alors elle vit bien que se devait être autre chose.

—    C’était ma toilette, Yann ?

Pour la toilette, il est sûr que cela y avait contribué; elle en faisait trop, pendant un temps, pour devenir la femme d’un simple pêcheur. Mais enfin il était forcé de convenir que ce n’était pas tout.

—    Était-ce parce que, dans ce temps là, nous passions pour riches ? Vous aviez peur d’être refusé ?

—    Oh ! non, pas cela.

Il fit cette réponse avec une si naïve sûreté de lui-même, que Gaud en fut amusée. Et puis il y eut de nouveau un silence pendant lequel on entendit dehors le bruit gémissant de la brise et de la mer.

Tandis qu’elle l’observait attentivement, une idée commençait à lui venir, et son expression changeait à mesure :

—    Ce n’était rien de tout cela, Yann; alors quoi ? Dit-elle en le regardant tout à coup dans le blanc des yeux, avec le sourire d’inquisition irrésistible de quelqu’un qui a deviné.

Et lui détourna la tête, en riant tout à fait.

Ainsi, c’était bien cela, elle avait trouvé : de raison, il ne pouvait pas lui en donner, parce qu’il n’y en avait pas, il n’y en avait eu jamais. Eh bien, oui, tout simplement il avait fait son têtu (comme Sylvestre disait jadis), et c’était tout. Mais voilà aussi, on l’avait tourmenté avec cette Gaud ! Tout le monde s’y était mis, ses parents, Sylvestre, ses camarades islandais, jusqu’à Gaud elle-même. Alors il avait commencé à dire non, obstinément non, tout en gardant au fond de son cœur l’idée qu’un jour, quand personne n’y penserait plus, cela finirait certainement par être oui.

Et c’était pour cet enfantillage de son Yann que Gaud avait langui, abandonnée pendant deux ans, et désiré mourir…

Après le premier mouvement, qui avait été de rire un peu, par confusion d’être découvert, Yann regarda Gaud avec de bons yeux graves qui, à leur tour interrogeaient profondément : lui pardonnerait-elle au moins ? Il avait un si grand remords aujourd’hui de lui avoir fait tant de peine, lui pardonnerait-elle ?…

—    C’est mon caractère qui est comme cela, Gaud, dit-il. Chez nous, avec mes parents, c’est la même chose. Des fois, quand je fais ma tête dure, je reste pendant des huit jours comme fâché avec eux presque sans parler à personne. Et pourtant je les aime bien, vous le savez, et je finis toujours par leur obéir dans tout ce qu’ils veulent, comme si j’étais encore un enfant de dix ans… Si vous croyez que ça faisait mon affaire, à moi, de ne pas me marier ! Non, cela n’aurait plus duré longtemps dans tous les cas, Gaud, vous pouvez me croire.

Oh ! si elle lui pardonnait ! Elle sentait tout doucement des larmes lui venir, et c’était le reste de son chagrin d’autrefois qui finissait de s’en aller à cet aveu de son Yann. D’ailleurs, sans toute sa souffrance d’avant, l’heure présente n’eût pas été si délicieuse; à présent que c’était fini, elle aimait presque mieux avoir connu ce temps d’épreuve.

Maintenant tout était éclairci entre eux deux; d’une manière inattendue, il est vrai, mais complète : il n’y avait aucun voile entre leurs deux âmes. Il l’attira contre lui dans ses bras et, leurs têtes s’étant rapprochées, ils restèrent là longtemps, leurs joues appuyées l’une sur l’autre, n’ayant plus besoin de rien s’expliquer ni de rien se dire. Et en ce moment, leur étreinte était si chaste que, la grand-mère Yvonne s’étant réveillée, ils demeurèrent devant elle comme ils étaient, sans aucun trouble.

Un roman de Pierre Loti

Pêcheur d'Islande

Page: .47./.64.

Fregate: Une passerelle vers le Conte & la Poésie.

Copyright © 2005-2007 Pascal ZANARDI, Tous droits réservés.