Un billet de loterie

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Jules Verne

Un billet de loterie

Help junior regrettait de ne pas avoir de meilleures nouvelles à donner du jeune parent des Hansen. En ce qui concernait Ole Kamp, il en parlait comme d’un excellent sujet, digne de toute les sympathies qu’il inspirait à son ami Sylvius.

Help junior finissait en assurant le professeur de son affection, en y joignant les amitiés de sa famille. Enfin, il promettait de lui faire parvenir, sans délai, toute nouvelle qui pourrait arriver du Viken en n’importe quel port de Norvège, et se disait son tout dévoué, Help frères.

La pauvre Hulda, défaillante, était tombée sur une chaise, pendant que Sylvius Hog lisait cette lettre; elle sanglotait, quand il en eut achevé la lecture.

Joël, les bras croisés, avait écouté sans mot dire, sans même oser regarder sa sœur.

Dame Hansen, après que Sylvius Hog eut cessé de lire, s’était retirée dans sa chambre. Il semblait qu’elle se fût attendue à ce malheur comme elle s’attendait à bien d’autres !

Le professeur fit alors signe à Hulda et à son frère de se rapprocher de lui. Il voulait encore leur parler de Ole Kamp, leur dire tout ce que son imagination lui suggérait de plus ou moins plausible, et il s’exprima avec une assurance au moins singulière après la lettre de Help junior. Non ! — il en avait le pressentiment ! — non, rien n’était désespéré. N’y avait-il pas maint exemple de plus longs retards éprouvés au cours d’une navigation dans ces mers qui s’étendent de la Norvège à Terre-Neuve ? Oui, sans aucun doute ! Le Viken n’était-il pas un solide navire, bien commandé, avec un bon équipage, et, par conséquent, dans des conditions meilleures que les autres bâtiments qui étaient revenus au port ? Incontestablement.

—    Espérons donc, mes chers enfants, ajouta-t-il, et attendons ! Si le Viken eût fait naufrage entre l’Islande et Terre-Neuve, les nombreux navires qui suivent constamment cette route pour revenir en Europe n’en auraient-ils pas retrouvé quelque épave ? Eh bien, non ! Pas un seul débris n’a été rencontré dans ces parages si fréquentés au retour de la grande pêche ! Néanmoins, il faut agir, il faut obtenir des renseignements plus certains. Si, pendant cette semaine, nous sommes encore sans nouvelles du Viken ou sans lettre de Ole, je retournerai à Christiania, je m’adresserai à la Marine, qui fera des recherches, et, j’en ai la conviction, elles aboutiront pour notre satisfaction à tous !

Quelque confiance que montrât le professeur, Joël et Hulda sentaient bien qu’il ne parlait plus maintenant comme il le faisait avant d’avoir reçu la lettre de Bergen — lettre dont les termes ne devaient leur laisser que bien peu d’espoir. Sylvius Hog n’osait plus à présent faire allusion au mariage prochain de Hulda et de Ole Kamp. Et, pourtant, il répéta avec une force qui imposait :

—    Non ! Ce n’est pas possible ! Ole ne plus reparaître dans la maison de dame Hansen ! Ole ne pas épouser Hulda ! Jamais je ne croirai possible un tel malheur !

Cette conviction lui était personnelle. Il la puisait dans l’énergie de son caractère, dans sa nature que rien ne pouvait abattre. Mais comment la faire partager à d’autres, et surtout à ceux que le sort du Viken touchait si directement ?

Cependant, quelques jours se passèrent encore. Sylvius Hog, complètement guéri, faisait de grandes promenades aux environs. Il obligeait Hulda et son frère à l’accompagner, afin de ne pas les laisser seuls à eux-mêmes. Un jour, tous trois remontaient la vallée du Vestfjorddal jusqu’à mi-chemin des chutes du Rjukan. Le lendemain, ils la descendaient en se dirigeant vers Moel et le lac Tinn. Une fois même, ils furent absents vingt-quatre heures. C’est qu’ils avaient prolongé leur excursion jusqu’à Bamble, où le professeur fit la connaissance du fermier Helmboë et de sa fille Siegfrid. Quel accueil celle-ci fit à sa pauvre Hulda, et quels accents de tendresse elle trouva pour la consoler !

Là encore, Sylvius Hog rendit un peu d’espoir à ces braves gens. Il avait écrit à la Marine de Christiania. Le gouvernement s’occupait du Viken. On le retrouverait. Ole reviendrait. Il pouvait même revenir d’un jour à l’autre. Non ! le mariage n’aurait pas six semaines de retard ! L’excellent homme paraissait si convaincu que l’on se rendait peut-être plus à sa conviction qu’à ses arguments.

Cette visite à la famille Helmboë fit du bien aux enfants de dame Hansen. Et, quand ils rentrèrent à la maison, ils étaient plus calmes que lorsqu’ils l’avaient quittée.

On était alors au 15 juin. Le Viken avait donc maintenant un mois de retard. Or, comme il s’agissait de cette traversée, relativement courte, de Terre-Neuve à la côte de Norvège, c’était véritablement hors de mesure — même pour un navire à voiles.

Hulda ne vivait plus. Son frère ne parvenait pas à trouver un seul mot qui pût la consoler. Devant ces deux pauvres êtres, le professeur succombait à la tâche qu’il s’était donnée de conserver un peu d’espoir. Hulda et Joël ne quittaient le seuil de la maison que pour aller regarder du côté de Moel, ou pour s’avancer sur la route du Rjukanfos. Ole Kamp devait venir par Bergen; mais il pouvait se faire qu’il arrivât aussi par Christiania, si la destination du Viken avait été modifiée. Un bruit de carriole qui se faisait entendre sous les arbres, un cri jeté dans les airs, l’ombre d’un homme se dessinant au tournant du chemin, cela leur faisait battre le cœur, mais inutilement ! Les gens de Dal veillaient de leur côté. Ils allaient au-devant du courrier, en amont et en aval du Maan. Tous s’intéressaient à cette famille si aimée dans le pays, à ce pauvre Ole qui était presque un enfant du Telemark. Et pas une lettre ne venait de Bergen ou de Christiania apporter quelque nouvelle de l’absent !

Le 16, rien de nouveau. Sylvius Hog ne pouvait plus tenir en place. Il comprit qu’il fallait donner de sa personne. Aussi annonça-t-il que, le lendemain, s’il n’avait rien reçu, il partirait pour Christiania et s’assurerait par lui-même que les recherches étaient activement faites. Certes ! il lui en coûterait de laisser Hulda et Joël; mais il le fallait, et il reviendrait, dès qu’il aurait achevé ses démarches.

Le 17, une grande partie du jour s’était déjà écoulée — le plus triste de tous, peut-être ! La pluie n’avait cessé de tomber depuis l’aube. Le vent se déchaînait à travers les arbres. De grands coups de rafale crépitaient sur les vitraux des fenêtres du côté du Maan.

Il était sept heures. On venait d’achever le dîner, en silence, comme dans une maison en deuil. Sylvius Hog n’avait même pu soutenir la conversation. Les paroles lui manquaient avec les idées. Qu’aurait-il dit qui ne l’eût été cent fois déjà ! Ne sentait-il pas que cette prolongation d’absence rendait inacceptables ses arguments d’autrefois ?

—    Je partirai demain matin pour Christiania, dit-il. Joël, occupez-vous de me procurer une carriole. Vous me conduirez à Moel, et vous reviendrez aussitôt à Dal !

—    Oui, monsieur Sylvius, répondit Joël. Vous ne voulez pas que je vous accompagne plus loin ? Le professeur fit un signe négatif en montrant Hulda qu’il ne voulait pas priver de son frère.

En ce moment, un bruit, peu sensible encore, se fit entendre sur la route, du côté de Moel. Tous écoutèrent. Bientôt, il n’y eut plus de doute, c’était le bruit d’une carriole. Elle se dirigeait rapidement vers Dal. Était-ce donc quelque voyageur qui venait passer la nuit à l’auberge ? C’était peu probable, et rarement les touristes arrivaient à une heure aussi avancée.

Hulda venait de se lever toute tremblante. Joël alla vers la porte, l’ouvrit, regarda.

Le bruit s’accentuait. C’était bien le pas d’un cheval et le grincement de roues d’une carriole. Mais telle fut alors la violence de la bourrasque qu’il fallut refermer la porte.

Sylvius Hog allait et venait dans la salle. Joël et sa sœur se tenaient l’un près de l’autre.

La carriole ne devait plus être qu’à une vingtaine de pas de la maison. Allait-elle s’arrêter ou passer outre ?

Le cœur leur battait à tous — horriblement.

La carriole s’arrêta. On entendit une voix qui appelait… Ce n’était pas la voix de Ole Kamp !

Presque aussitôt, on frappa à la porte.

Joël l’ouvrit.

Un homme était sur le seuil.

—    Monsieur Sylvius Hog ? demanda-t-il.

—    C’est moi, répondit le professeur, en s’avançant. Qui êtes-vous, mon ami ?

—    Un exprès qui vous est envoyé de Christiania par le directeur de la Marine.

—    Vous avez une lettre pour moi ?

—    La voici ! Et l’exprès tendit une grande enveloppe qui était cachetée du cachet officiel. Hulda n’avait plus la force de se tenir debout. Son frère venait de la faire asseoir sur un escabeau. Ni l’un ni l’autre n’osaient presser Sylvius Hog d’ouvrir la lettre. Enfin, il lut ce qui suit :

Monsieur le professeur,

En réponse à votre dernière lettre, je vous adresse sous ce pli un document qui a été recueilli en mer par un navire danois, à la date du 5 juin dernier. Malheureusement, ce document ne laisse plus aucun doute sur le sort du Viken

Sylvius Hog, sans prendre le temps d’achever la lettre, avait tiré le document de l’enveloppe… Il le regardait… Il le retournait…

C’était un billet de loterie, portant le numéro 9672.

Au revers du billet, on lisait ces quelques lignes :

3 mai. — Chère Hulda, le Viken va sombrer !… Je n’ai plus que ce billet pour toute fortune !… Je le confie à Dieu pour qu’il te le fasse parvenir, et, puisque je n’y serai pas, je te prie d’être là quand il sera tiré !… Reçois-le avec ma dernière pensée pour toi !… Hulda, ne m’oublie pas dans tes prières !… Adieu, chère fiancée, adieu !…

Ole Kamp.

Un roman de Jules Verne

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