Un billet de loterie

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Jules Verne

Un billet de loterie

— Bonjour, monsieur Benett ! Quand je trouve l’occasion de vous donner une poignée de main, cela me fait toujours plaisir.

—    Et cela me fait toujours honneur, monsieur Hog.

—    Honneur, plaisir, plaisir, honneur, répondit gaiement le professeur, l’un vaut l’autre !

—    Je vois que votre voyage dans la Norvège centrale s’est heureusement achevé.

—    Il n’est point achevé, mais il est fini, monsieur Benett — pour cette année du moins.

—    Eh bien, monsieur Hog, parlez-moi, s’il vous plaît, de ces braves gens dont vous avez fait la connaissance à Dal.

—    De braves gens, en effet, monsieur Benett, de braves gens et des gens braves ! Le mot leur convient dans les deux sens !

—    D’après ce que les journaux nous ont appris, il faut convenir qu’ils sont bien à plaindre !

—    Très à plaindre, monsieur Benett ! Je n’ai jamais vu le malheur frapper de pauvres êtres avec une obstination pareille !

—    En effet, monsieur Hog. Après l’affaire du Viken, l’affaire de cet abominable Sandgoïst !

—    Comme vous dites, monsieur Benett.

—    En fin de compte, monsieur Hog, Hulda Hansen a bien fait de livrer le billet contre quittance.

—    Vous trouvez ?… Et pourquoi donc, s’il vous plaît ?

—    Parce que de toucher quinze mille marks contre la quasi-certitude de ne rien toucher du tout…

—    Ah ! monsieur Benett ! riposta Sylvius Hog, vous parlez là en homme pratique, en négociant que vous êtes ! Mais, si l’on veut se placer à un autre point de vue, cela devient une affaire de sentiment, et le sentiment ne se chiffre pas !

—    Évidemment, monsieur Hog; mais permettez-moi de vous le dire, il est très probable que votre protégée en eût été pour son sentiment !

—    Qu’en savez-vous ?

—    Mais songez-y donc ! Que représentait ce billet ? une seule chance de gagner sur un million !…

—    En effet, une chance sur un million ! C’est bien peu, monsieur Benett, c’est bien peu !

—    Aussi la réaction s’est-elle faite, après l’engouement des premiers jours, et, dit-on, ce Sandgoïst, qui n’avait acheté ce billet que pour spéculer dessus, n’a pu trouver de preneur !

—    Il paraît, monsieur Benett.

—    Et pourtant, si ce maudit usurier venait à gagner le gros lot, voilà qui serait un scandale !

—    Un scandale, assurément, monsieur Benett, le mot n’est pas trop fort, un scandale !

En parlant ainsi, Sylvius Hog se promenait à travers les magasins, on peut dire à travers le bazar de Mr Benett, si connu de Christiania et de toute la Norvège. En effet, que ne trouve-t-on pas dans ce bazar ? Voitures de voyages, carrioles par douzaines, caisses de comestibles, paniers de vins, stock de conserves, vêtements et ustensiles de touristes, même des guides pour conduire les voyageurs jusqu’aux dernières bourgades du Finnmark, jusqu’en Laponie, jusqu’au pôle Nord ! Et ce n’est pas tout ! Mr Benett n’offre-t-il pas aux amateurs d’histoire naturelle les divers échantillons de pierres et de métaux du sol, comme les spécimens les plus variés des oiseaux, insectes, reptiles, de la faune norvégienne ? Et — ce qu’il est bon de savoir — où rencontrerait-on un assortiment de bijoux et de bibelots du pays plus complet que dans ses vitrines ?

Aussi ce gentleman est-il la Providence des touristes, désireux de visiter la région scandinave. C’est l’homme universel dont Christiania ne pourrait plus se passer.

—    Et, à propos, monsieur Hog, dit-il, vous avez bien trouvé à Tinoset la voiture que vous m’aviez demandée ?

—    Puisque je vous l’avais demandée, monsieur Benett, j’étais certain qu’elle y serait à l’heure dite !

—    Vous me comblez, monsieur Hog. Mais, d’après votre lettre, vous deviez être trois personnes…

—    Trois, en effet.

—    Et ces personnes ?…

—    Elles sont arrivées, hier soir, en bonne santé, et elles m’attendent à l’Hôtel Victoria, où je vais les rejoindre.

—    Est-ce que ce sont ?…

—    Précisément, monsieur Benett, ce sont… Et, je vous prie, n’en dites rien. Je tiens à ce que leur arrivée ne s’ébruite pas encore.

—    Pauvre fille !

—    Oui !… Elle a bien souffert !

—    Et vous avez voulu qu’elle assistât au tirage de la loterie, bien qu’elle n’ait plus le billet que lui avait légué son fiancé ?

—    Ce n’est pas moi qui l’ai voulu, monsieur Benett ! C’est Ole Kamp, et, à vous comme à tous, je répéterai : Il faut obéir aux dernières volontés de Ole !

—    Évidemment, ce que vous faites est toujours bien fait, cher monsieur Hog.

—    Des compliments, cher monsieur Benett ?…

—    Non, mais il est fort heureux pour elle que la famille Hansen vous ait trouvé sur son chemin !…

—    Bah ! Il est encore plus heureux pour moi de l’avoir trouvée sur le mien !

—    Je vois que vous avez toujours votre bon cœur !

—    Monsieur Benett, puisqu’on est obligé d’avoir un cœur, autant vaut qu’il soit bon, n’est-ce pas ?

Et de quel excellent sourire Sylvius Hog accompagna cette réponse au digne commerçant.

—    Et maintenant, monsieur Benett, reprit-il, ne croyez pas que je sois venu chercher des félicitations chez vous ! Non ! C’est un autre motif qui m’amène.

—    À votre service.

—    Vous savez, n’est-il pas vrai, que, sans l’intervention de Joël et de Hulda Hansen, si le Rjukanfos avait bien voulu me rendre, il ne m’aurait rendu qu’à l’état de cadavre. Je n’aurais donc pas aujourd’hui le plaisir de vous voir…

—    Oui !… Oui !… Je sais ! répondit Mr Benett. Les journaux ont raconté votre aventure !… Et, en vérité, ces courageux jeunes gens eussent bien mérité de gagner le gros lot !

—    C’est mon avis, répondit Sylvius Hog. Mais, puisque c’est maintenant impossible, je ne voudrais pas que ma petite Hulda retournât à Dal sans quelque petit cadeau… un souvenir…

—    C’est là ce que j’appellerai une bonne idée, monsieur Hog !

—    Vous allez donc m’aider à choisir, parmi toutes vos richesses, quelque chose qui puisse plaire à une jeune fille…

—    Volontiers, répondit Mr Benett. Et il pria le professeur de passer dans le magasin réservé à la joaillerie indigène. Un bijou norvégien, n’était-ce pas le plus charmant souvenir qu’on pût emporter de Christiania et du merveilleux bazar de Mr Benett ?

Un conte de Jules Verne

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Fregate: Une passerelle vers le Conte & la Poésie.

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