— La Moitié de Poulet —

Un conte de Jean Macé

La Moitié de Poulet

Il était une foi une Moitié de Poulet qui, à force de travailler et d’économiser, avait amassé cent écus.

Le roi, qui avait toujours besoin d’argent, ne l’eut pas plus tôt appris, qu’il vint les lui emprunter, et la Moitié de Poulet était bien fière, dans les commencements, d’avoir prêté de l’argent au roi. Mais il vint une mauvaise année, et la Moitié de Poulet aurait bien voulu ravoir son argent. Elle avait beau écrire lettre sur lettre tant au roi qu’à ses ministres, personne ne lui répondait. A la fin, elle prit la résolution d’aller chercher elle-même ses cent écus, et se mit en route pour le palais du roi.

Chemin faisant, elle rencontra un renard :

—    Où vas-tu, Moitié de Poulet ?

—    Je vais chez le roi. Cent écus, me doit !

—    Prends-moi avec toi.

—    Point de façon, ne ferai. Entre dans mon cou, je t’y porterai.

Le renard entra dans son cou, et la voilà partie, toute joyeuse d’avoir fait plaisir au renard.

Un peu plus loin elle rencontra un loup :

—    Où vas-tu, Moitié de Poulet ?

—    Je vais chez le roi. Cent écus, me doit !

—    Prends-moi avec toi.

—    Du plaisir, en aurai. Entre dans mon cou, je t’y porterai.

Le loup entra dans son cou, et la voilà partie encore une fois. C’était un peu lourd; mais la pensée que le loup était content de voyager lui donnait du courage.

Comme elle approchait du palais, elle trouva sur sa route une rivière :

—    Où vas-tu, Moitié de Poulet ?

—    Je vais chez le roi. Cent écus, me doit !

—    Prends-moi avec toi.

—    Bien des charges, j’ai. Si tu peux tenir dans mon cou, je t’y porterai.

La rivière se fit toute petite et se glissa dans son cou.

La pauvre petite bête avait bien de la peine à marcher; mais elle arriva pourtant à la porte du palais.

Toc ! toc ! toc !

Le portier passa la tête par son carreau :

—    Où vas-tu, Moitié de Poulet ?

—    Je vais chez le roi. Cent écus, me doit !

Le portier eut pitié de la petite bête, qui avait un air tout innocent.

—    Va-t’en, ma belotte. Le roi n’aime pas qu’on le dérange. Mal en prend à qui s’y frotte.

—    Ouvrez toujours; je lui parlerai. Il a mon bien; il me connaît bien.

Quand on vint dire au roi que la Moitié de Poulet demandait à lui parler, il était à table, et faisait bombance avec ses courtisans. Il se prit à rire car il se doutait bien de quoi il s’agissait.

—    Ouvrez à ma chère amie, répondit-il, et qu’on la mette dans le poulailler.

La porte s’ouvrit, et la chère amie du roi entra tout tranquillement, persuadée qu’on allait lui rendre son argent. Mais au lieu de lui faire monter le grand escalier, voilà qu’on la mène vers une petite cour de côté; on lève un loquet; on la pousse, et crac ! Ma Moitié de Poulet se trouve enfermée dans le poulailler.

Le coq, qui piquait dans une épluchure de salade, la regarda d’en haut sans rien dire. Mais les poules commencèrent à la poursuivre et à lui donner des coups de bec. Il n’y a pas de bête plus cruelle que les poules quand il leur vient des étrangers sans défense.

La Moitié de Poulet, qui était une petite personne paisible et rangée, habituée chez elle à n’avoir jamais de querelles, se trouva bien effrayée au milieu de tant d’ennemies. Elle courut se blottir dans un coin, et cria de toutes ses forces :

—    Renard ! Renard ! sors de mon cou, ou je suis un petit poulet perdu !

Le renard sortit de son cou, et croqua toutes les poules.

La servante qui portait à manger aux poules ne trouva plus que les plumes en arrivant. Elle courut, pleurant, prévenir le roi, qui se fâcha tout rouge :

—    Qu’on enferme cette enragée dans la bergerie, dit-il.

Et pour se consoler, il fit apporter d’autres bouteilles.

Une fois dans la bergerie, la Moitié de Poulet se vit encore plus en péril que dans le poulailler : les moutons étaient les uns par-dessus les autres, et menaçaient à chaque instant de l’écraser sous leurs pieds. Elle était enfin parvenue à s’abriter derrière un pillier, quand un gros bélier vint se coucher là, et faillit l’étouffer de sa toison.

—    Loup ! cria-t-elle, Loup ! sors de mon cou, ou je suis un petit poulet perdu !

Le loup sortit de son cou, et en un clin d’œil étrangla tous les moutons.

La colère du roi ne connut plus de bornes quand il apprit ce qui venait de se passer : il renversa verres et bouteilles, fit allumer un grand feu, et envoya chercher une broche à la cuisine.

—    Ah ! la scélérate ! s’écria-t-il, je vais la faire rôtir pour lui apprendre à tout massacrer chez moi !

On amena devant le feu la Moitié de Poulet, qui tremblait de tous ses membres; et déjà le roi la tenait d’une main, et la broche de l’autre, quand elle se dépêcha de murmurer :

—    Rivière ! Rivière ! sors de mon cou, ou je suis un petit poulet perdu !

La rivière sortit de son cou, éteignit le feu, et noya le roi avec tous ses courtissans.

La Moitié de Poulet, restée maîtresse du palais, chercha en vain ses cent écus : Ils avaient été dépensés, il n’en restait trace… Mais, comme il n’y avait plus personne sur le trône, elle monta dessus à la place du roi, et le peuple salua son avènement, à grands cris de joie. Il était tout enchanté d’avoir une reine qui savait si bien économiser.

L’autre moitié de poulet

  • Mita de gau ou comment les enfants de l’école Renaud Séchan ont illustré la moitié de poulet.

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