La Fée des grèves

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Paul Féval

La Fée des grèves

Le chevalier regarda d’un air de mauvaise humeur les premiers signes de dévastation qui se montraient au dehors.

—    Sarpebleu ! grommela-t-il en descendant de cheval, je ne veux pas qu’ils me gâtent comme cela mes domaines ! On entra. Le vestibule était plein de flacons vides et d’assiettes brisées. La porte de la grande salle avait servi à faire du feu.

—    Sarpebleu ! sarpebleu ! répéta le chevalier. Les meubles de la grande salle étaient en miettes : sarpebleu ! Dans la salle à manger, le vaisselier était vide : sarpebleu ! sarpebleu ! Et ce fut à grand-peine que, dans tout le reste du manoir, on trouva un fauteuil boiteux pour asseoir le pauvre chevalier.

—    Sarpebleu ! sarpebleu ! sarpebleu ! Il n’était pas content, ce chevalier ! Du tout, mais du tout !

—    Les meubles de monsieur Hue de Maurever n’étaient pas coupables ! se disait-il avec mélancolie, et sa vaisselle n’avait jamais fait de mal à notre seigneur le duc François.

Voilà des coquins qui me ruineront en frais d’achats et réparations !

Il s’assit et ôta son casque.

Ce casque seul nous a empêchés jusqu’ici de reconnaître notre bon camarade Méloir, ancien porte-bannière ducal.

Il n’avait pas encore accompli la promesse qu’il avait faite de trouver le sire de Maurever, mais il s’y était employé de si grand cœur, que François l’avait récompensé d’avance en lui chaussant les éperons.

Et comme il faut laisser un aiguillon au dévouement même le plus ardent, François lui avait promis, en cas de réussite, les domaines confisqués du Roz, de l’Aumône et de Saint-Jean-des-Grèves.

De sorte que notre excellent compagnon Méloir avait, dès ce moment, toutes les sollicitudes du propriétaire.

C’était son bien que les soldats de François avaient dévasté.

Maurever lui-même n’aurait pas jeté un regard plus triste sur sa maison saccagée.

Heureusement, Méloir n’était pas homme à rester longtemps de mauvaise humeur.

Il lança un dernier sarpebleu, moitié comique, et déboucla son ceinturon.

—    Trouvez des sièges, mes enfants, dit-il en se carrant dans l’unique fauteuil, ou asseyez-vous par terre, à votre choix. Je suis désespéré de ne pouvoir vous offrir une hospitalité meilleure. Mais voyons ! on peut amender cela; Keravel, toi qui es un vieux soudard, va voir à la cave s’il reste en quelque coin des bouteilles oubliées; Rochemesnil, descends à l’écurie et apporte ta charge de bottes de foin pour faire des sièges; Péan, tâche de trouver quelques volets, nous en ferons une table; et toi, Fontébraut, cherche une brassée de bois pour combattre le vent des grèves qui vient par les fenêtres défoncées.

Les quatre hommes d’armes sortirent et revinrent bientôt les mains pleines. En même temps, Merry, Conan, Kervoz et d’autres archers arrivèrent, apportant une paire d’oies, des poules et des canards avec d’énormes pichets de cidre.

La situation s’améliorait à vue d’œil.

Keravel avait trouvé dans un trou de la cave une douzaine de vieux flacons qui semblaient dater du déluge. Les bottes de foin faisaient d’excellents sièges. Les volets appareillés, donnaient une table vaste et fort commode. Il n’y avait pas de nappe, mais à la guerre comme à la guerre !

Un grand feu s’alluma dans la cheminée au-dessus de laquelle l’écusson de Maurever, martelé par les soudards, montrait encore ses émaux : d’or à la fasce d’azur.

À mesure que le bois vert pétillait joyeusement dans l’âtre, la gaieté s’allumait dans tous les regards.

Hommes d’armes et archers se mirent à plumer la belle paire d’oies, les canards et les poules. Le héraut prêta sa longue et mince épée de parade pour faire une broche, tandis que le sieur de Keravel, lance de Clisson, et Artus de Fontebrault, hommes d’armes de Rohan, deux beaux soldats, ma foi ! battaient des omelettes dans leurs casques.

Méloir regrettait que sa nouvelle et haute dignité ne lui permit point de partager ces appétissants labeurs. Il avait quelque teinture de la cuisine. Il donna de bons conseils.

Et, pour faire quelque chose, il vida deux flacons de vin du midi qui achevèrent la déroute de sa mélancolie.

Au diable les soucis ! l’immense rôti tournait devant le brasier par les soins de Conan et de Kervoz. La table était dressée. Et après tout, le vent qui venait par la croisée n’était que la bonne brise du mois de juin.

On devisait :

—    Ah ! ça ! disait Keravel, savez-vous le nom de cette maladie-là, vous autres ? Depuis que le duc François, notre cher seigneur, est rentré en Bretagne, il enfle, il enfle…

—    Je l’ai vu, voilà trois jours passés, en la ville de Rennes, répliqua Fontebrault, au palais ducal de la Tour-le-bât. S’il n’avait pas eu sa couronne tréflée, je ne l’aurais pas reconnu.

—    Couronne tréflée ! s’écria le héraut qui avait nom Jean de Corson; où vîtes-vous cela, Messire ? croix tréflée je ne dis pas, mais il n’entra jamais de trèfle en une couronne, si ce n’est en celles de David et d’Assuérus. La couronne, Messire, est le signe ou l’enseigne des dignités de nos seigneurs : fermée et croisée pour souverains, coiffant le casque de face, la grille haute; aux barons le simple diadème; aux comtes les perles sans nombre, aux ducs les feuilles d’ache, d’acanthe ou de persil…

—    Donc, sa couronne persillée, messire de Corson, rectifia gravement Artus de Fontebrault.

—    Sans compter, dit Méloir, qu’un bouquet de persil ne serait pas de trop dans la sauce de ces oies. Mais voyez donc quelles nobles bêtes !

Elles étaient déjà dorées, et leur parfum violent dilatait toutes les narines.

—    La maladie de notre seigneur François, reprit Méloir, a un nom de deux aunes, qui commence comme le mot hydromel, et qui finit en grec à la manière de tous les noms païens inventés par les fainéants qui savent lire. Nous sommes de fidèles sujets, n’est-ce pas ? Eh bien ! prions saint François de guérir le seigneur duc et soupons à sa santé comme des Bretons !

La proposition était trop loyale pour n’être point accueillie avec faveur.

Les deux oies, les canards, les poules et peut-être un paon que nous avions oublié dans le dénombrement des volailles assassinées, furent placées fumants sur la table, et tout le monde fit son devoir.

Paul Féval

La Fée des grèves

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Fregate: Une passerelle vers le Conte & la Poésie.

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