La Fée des grèves

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Paul Féval

La Fée des grèves

Les soldats se mirent en devoir d’obéir à l’ordre de Morgan, mais ce fut à contrecœur. Ils avaient l’esprit frappé.

Dans la ferme, Jeannin et Simonnette étaient à genoux côte à côte.

Jeannin avait prié Simonnette de l’aider à dire sa dernière prière.

Simonnette pleurait, à chaudes larmes, mais Jeannin avait encore la force de sourire, quand il la regardait.

Il priait de son mieux, demandant que sa mère eût une douce vieillesse, et Simonnette une longue vie de bonheur.

Et vraiment, ainsi agenouillé, les yeux au ciel, ce petit Jeannin avait la figure d’un ange.

Lorsque les soldats entrèrent il se releva.

—    Adieu, Simonnette, dit-il, pense un petit peu à moi, et souviens-toi de ce que tu m’as juré pour ma mère.

—    Oh ! Jeannin ! ne t’en va pas ! criait la jeune fille qui s’attachait à lui avec désespoir. Simon et sa ménagère regardaient cela du dehors. Ils voyaient bien que le bonheur de leur foyer n’était plus. Les soldats prirent Jeannin et le menèrent vers le pommier qui devait servir de potence.

Maître Vincent Gueffès se cachait derrière les Gothon. Sa mâchoire souriait diaboliquement.

—    Mon joli petit Jeannin, cria-t-il comme l’enfant passait, je t’avais bien dit que je serais de la noce !

Une main se posa sur l’épaule du Normand. C’était la main de Simon Le Priol.

—    Vincent Gueffès, dit le bonhomme, je te défends de passer jamais le seuil de ma maison. Gueffès se recula et grommela entre ses dents :

—    Voilà qui est bien, maître Simon ! Il y avait une agitation singulière parmi les soudards qui attendaient sous le pommier. Ils se parlaient à voix basse et d’un accent effrayé. On entendait :

—    Je te dis que je l’ai vue… une grande figure blanche et pâle sur un corps tout noir.

—    Elle est là, balbutia un autre; elle nous guette…

—    Où ça ?

—    Derrière la haie.

—    Saint Guinou ! c’est vrai ! Je vois ses yeux briller entre les feuilles. Les torches jetaient des lueurs ternes et mourantes qui faisaient tous les visages livides.

La lune, énorme et rouge, montrait la moitié de son disque sur le talus du chemin.

—    Est-ce fait ? cria Morgan. Les deux soldats qui prirent le petit Jeannin pour passer son cou dans le nœud de la hart, tremblaient de la tête aux pieds. Jeannin murmura :

—    Ah ! bonne fée ! bonne fée ! Elle m’avait pourtant bien dit que ces écus-là me porteraient malheur !

—    Il appelle la fée ! balbutia l’un des soldats.

L’autre lâcha prise. Le cou de Jeannin était pris dans la hart.

—    Est-ce fait ? demanda encore Morgan.

—    C’est fait.

—    Agitez les torches, que je voie cela ! Les torches s’agitèrent et lancèrent de longs jets de flammes.

On vit le pauvre Jeannin suspendu au pommier.

Mais on vit aussi une belle jeune fille qui soutenait ses pieds et portait le poids de son corps. Jeannin souriait, au lieu de rouler ses yeux et de tirer la langue comme font les patients de la hart. Les torches avaient jeté leurs dernières lueurs. Elles s’éteignirent. Dans cette obscurité soudaine, la panique prit les soldats de Méloir, qui s’enfuirent en criant. Ils avaient vu le pendu sourire et la Fée des Grèves qui le soutenait par les pieds ! Pas n’est besoin de dire que les Mathurin, les Gothon, les Catiche, la Scholastique et les Joson avaient devancé les soudards. Quelques minutes après, dans la ferme barricadée, Fanchon la ménagère, et Simonnette s’empressaient autour du petit Jeannin évanoui.

Simon Le Priol et Julien, son fils, étaient pensifs auprès du foyer.

Dans un coin, une femme vêtue de noir se tenait immobile.

—    Il revient à lui, le pauvre gars, dit Fanchon.

—    Jeannin, mon petit Jeannin ! répétait Simonnette, qui souriait et pleurait.

—    On ne peut pas le rendre à ses coquins de soudards, maintenant, murmura Julien, c’est bien sûr ! Simon secoua la tête.

—    J’avais dit que mon gendre aurait cinquante écus nantais, pensa-t-il tout haut; mais j’avais compté sans ma fillette. Le petit gars n’a pas un denier vaillant, mais c’est tout de même, puisque ma fillette le veut, il sera mon gendre.

—    Le petit gars aura les cinquante écus nantais, s’il plaît à Dieu ! dit une douce voix dans l’ombre. Jeannin se leva tout droit.

—    C’est la voix de la bonne fée ! s’écria-t-il. Julien et Simonnette disaient en même temps :

—    C’est la voix de notre demoiselle ! Ils demeurèrent un instant interdits, parce que Reine avait passé pour morte, et que l’idée d’un fantôme vient toujours la première à l’esprit du paysan breton.

Il fallut que Reine se montrât à visage découvert.

Le petit Jeannin, tout chancelant encore, vint se mettre à genoux devant elle.

—    Fée ou femme, dit-il, morte ou vivante, que Dieu vous bénisse !

Reine lui prit la main.

—    Oh ! notre chère demoiselle est en vie, s’écria Julien, puisqu’elle prend la main du petiot ! Simonnette tenait déjà l’autre main de Reine et la baisait.

—    Je vous aimais bien déjà, murmura-t-elle, avant que vous l’eussiez sauvé…

—    Et tu m’aimes deux fois plus à présent ? interrompit Reine, qui souriait. Simon et Fanchon, mes bonnes gens, nous ferons ce mariage-là pour la Sainte-Anne.

Le Priol et sa femme se tenaient inclinés respectueusement.

—    Il me fallait bien sauver, continua Reine, ce beau petit homme-là, puisque c’était moi qui lui avais mis la corde au cou.

Un roman de Paul Féval

La Fée des grèves

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Fregate: Une passerelle vers le Conte & la Poésie.

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